05 Avril 2018

Les 5 grands enjeux de la mobilité

Les 5 grands enjeux de la mobilité

Par Jacques Richier, Président-directeur général d’Allianz France

Dans la période d’innovation accélérée que nous vivons, chacun a compris que la mobilité de demain ne serait plus exclusivement celle de la voiture individuelle. Elle prendra des formes radicalement nouvelles, qui seront a priori source de bénéfices environnementaux et sociaux, via une offre élargie de moyens de mobilité alternatifs, multiples et collectifs.

Plus encore, l’idéal de « mobilité » qui émerge aujourd’hui ne se limite plus à une question de transport, ni même de transition énergétique ; il s’agit d’une transformation profonde de nos modes de vie, comme l’a montré la grande variété des propositions rassemblées lors des Assises de la Mobilité, projet oxymorique s’il en est !

Une loi d’orientation dédiée à la Mobilité doit bientôt consacrer ces propositions.

Parce que les mobilités nouvelles entraînent automatiquement des moyens d’assurance nouveaux, Allianz France est membre fondateur du Think Tank européen Megacities Institute dédié à l’avenir des villes, et accueille ce 5 avril 2018 le premier événement européen consacré aux villes de demain, le forum Urbagora. Dans ce cadre, Allianz France a participé à nombre de concertations sur les nouvelles mobilités et les enjeux du déploiement du véhicule sans conducteur.

Voici les 5 enjeux primordiaux que nous avons mis en évidence, 5 défis auxquels devront répondre ensemble les pouvoirs publics et les acteurs privés.

1/ Favoriser le développement des transports multimodaux dans les villes

2/ Considérer le cyber-risque comme l’enjeu clé des nouvelles mobilités

3/ Trancher la question de la propriété et de l’utilisation des données relatives aux déplacements et aux véhicules individuels

4/ Développer les infrastructures de la nouvelle mobilité

5/ Sortir les nouveaux véhicules urbains du flou juridique concernant leur classification et les responsabilités associées

1/ Favoriser le développement des transports multimodaux dans les villes… En généralisant le libre accès aux données de mobilité issues des transports publics

La mobilité de demain sera multiforme, souple, à la demande. Elle invalidera la distinction entre transports publics et privés. Dans une même journée, on associe déjà métro, bus, VTC, vélo, co-voiturage et voiture de location à la demande. Demain, on voudra que ce soit possible sur une même plateforme. La multi-modalité va devenir réalité : aidons-la à advenir le plus rapidement possible !

Les usagers attendent qu’acteurs publics et privés se coordonnent pour qu’ils puissent bénéficier d’applications réactives : pour optimiser leurs déplacements quotidiens, ils souhaitent disposer en temps réel d’itinéraires alternatifs combinant tous les modes de transport à disposition. Que manque-t-il aujourd'hui pour que cela advienne ?

     1. L’instantanéité dans le partage des données de transports de bonne qualité.

On le sait, promouvoir la fluidité ne nécessite pas forcément de financements spécifiques, mais bien plutôt un partage « en temps réel » des données de transports. Temps de passage, accidents et ralentissement sur les lignes, taux de fréquentation : la plupart de ces données existent déjà et sont partagées avec les utilisateurs. Certaines données des concessionnaires de transport public sont disponibles en open data en temps réel, comme celles de la RATP depuis 2017. Cela a déjà permis l’émergence d’un certain nombre d’applications qui ont trouvé leur public.

Et pourtant, l’instantanéité reste un défi. On pense notamment aux villes qui n’ont pas la taille critique pour développer les solutions qui intègrent, en temps réel, des données de fréquentation. Mais on pense aussi aux grandes métropoles, freinées dans leur collaboration avec les nouveaux acteurs de la mobilité par des incertitudes réglementaires. De fait, la loi Macron rend le transporteur responsable de l’ouverture des données, mais « le cas échéant », réserve cette responsabilité à l’Autorité organisatrice de transport (AOT). La loi Le Maire n’ayant pas davantage précisé où commence et où s’arrête l’obligation de partage, on a souvent déduit dans la pratique que cela dépendait de la nature des données : les données des horaires ou des arrêts pouvaient être publiées par l’AOT, tandis que les données « en temps réel », cruciales pour pouvoir développer des services, venaient du système du transporteur. Ce flou a laissé la possibilité à certains opérateurs de refuser d’ouvrir les données, au nom du secret des affaires, qui viendrait contredire l’obligation d’ouverture.

Ces incertitudes doivent être levées. L’instantanéité du partage de l’information est décisive pour tous, usagers et entrepreneurs. Favorisons-la sur l’ensemble du territoire pour permettre aux start-ups et autres entreprises innovantes de proposer des nouveaux services en agrégeant des données de bonne qualité !

     2. Enfin, faisons advenir le rêve de tout utilisateur : acheter un billet à distance sur son mobile pour un trajet qui combinera toutes les solutions de transport, publiques et privées ! Allons jusqu’au bout de la démarche déjà bien initiée par les transports publics : créons des interfaces agiles pour la vente de billets via des systèmes ouverts et interopérables. Les transports publics s’engagent peu à peu dans la voie du billet dématérialisé sur téléphone portable. L’enjeu est désormais aussi du côté des opérateurs privés, taxis, VTC, et plateformes d’auto-partage.

2/ Considérer le cyber-risque comme l’enjeu clé des nouvelles mobilités… Dès maintenant

Le conducteur qui achète aujourd’hui un véhicule en Europe a l’assurance qu’il satisfait à des normes de qualité et de sécurité qui lui garantissent un risque de défaut réduit au minimum. L’avènement de l’informatique embarquée dans la voiture, connectée ou pas, change la donne. Elle entraîne des nouveaux risques qui ne sont pas suffisamment pris en compte aujourd’hui. Jusqu’à récemment, les dispositifs numériques embarqués dans la voiture ne concernaient que le confort, comme la climatisation, les divertissements, etc. Leurs défaillances ne portant pas à conséquence, les véhicules étaient homologués « par défaut ». Désormais, l’intelligence numérique concerne les composantes stratégiques du véhicule : la vitesse, le freinage, la direction. Les systèmes d’ingénierie informatique déterminent le fonctionnement de la voiture, un changement de paradigme qui nous oblige à repenser radicalement sa sécurité.

Comment garantir, dans ces conditions, qu’un véhicule présente un «risque de défaut minimum » ? Sur quels critères assurer la « conformité » d’un véhicule avant de le lancer sur le marché ? Et quand bien même ce serait possible, comment assurer qu’il sera toujours « conforme » deux ans plus tard, alors qu’il aura pu être fragilisé par des attaques ou ses propres mises à jour ? Est-il seulement possible de prévoir des tests capables d’anticiper les combinaisons infinies de situations et d’événements qui peuvent entraîner des failles de sécurité du conducteur ?

Tant que nous n’aurons pas trouvé de réponse à ces questions, se posera légitimement la question de confiance. Dans un monde ou le principe de précaution est un principe constitutionnel, où la sécurité est la première attente des citoyens, cette zone grise, qui place le cyber-risque au cœur de la mobilité, ne peut perdurer. Le cyber-risque dans la mobilité ne relève plus de la science-fiction : les assureurs connaissent déjà les modèles dont la prise de contrôle de l’unité centrale est facile et circule sur le net, avec en conséquence des vols sans effraction, la suppression des identifiants et de la localisation et donc le recel à l’étranger !

Quelles protections devons-nous rendre obligatoires pour garantir l’inviolabilité des véhicules ? Quel nouveau système d’homologation inventer, qui réponde efficacement aux défis du 21ème siècle ? Le sujet de l’homologation des véhicules contre le cyber-risque est urgent. Il ne peut être remis à un observatoire qui formulerait des conclusions après-demain.

Sans attendre, nous souhaitons que soient considérés sérieusement les deux grands risques que sont :

     1. le risque de piratage, à l’heure où les logiciels et les données embarquées peuvent

être corrompus (intentionnellement ou non, à distance ou non) ainsi que leurs mises à jour. La corruption de logiciel est une forme d’attentat tout à fait réaliste aujourd’hui : à tout moment l’intelligence de la voiture peut être modifiée par malveillance. Ce risque doit être considéré comme une priorité numéro un.

     2. le risque d’ « accident en série » provoqué par un défaut de logiciel unique

Si les « risques en série » étaient quasi inexistants dans le monde de la mécanique - celui des normes de construction et des rappels ciblés des véhicules défectueux par les constructeurs - ils deviennent réalité dans le monde numérisé. L’accident sur une échelle massive, dû à une mauvaise conception de logiciel, de capteur, ou à leur mauvaise mise à jour, est une nouvelle forme de catastrophe dont effets sont de même envergure que le piratage. Un seul défaut de logiciel implanté dans 10 000 voitures provoquera le même accident dans toutes les mêmes situations, de manière certaine.

Ces « risques sériels » sont redoutés par les professionnels du risque comme les assureurs car ils sont explosifs par nature et se propagent rapidement. Appliqués à la mobilité, leur gravité sera inévitable et d’ampleur inédite : là où les défauts de fabrication entraînaient des dommages plutôt matériels, il faut s’attendre à ce que ces nouveaux risques occasionnent des dommages humains.

Sur ces deux volets, si les conditions de sécurité n’évoluent pas assez vite, il existe un vrai risque que les véhicules à composante électrique et autonome deviennent inassurables en Responsabilité Civile, ce qui pourrait remettre en cause leur acceptation par le public et leur déploiement.

Avant de lancer les premiers véhicules autonomes sur de longues distances hors des parcs fermés, il faudra avoir garanti aux usagers un niveau de sécurité informatique comparable à celui en vigueur dans les avions. L’avion est depuis longtemps devenu le moyen de transport le plus sûr ; 2017 a même été l'année la plus sûre depuis 1946 ! Cela a été possible parce qu’on a accordé la priorité absolue à la sécurité informatique, instauré des systèmes redondants pour assurer la continuité de fonctionnement en cas de défaillance,prévoyant de rendre la main automatiquement au pilote en cas de piratage des logiciels d’assistance en vol.

Aujourd’hui, la grande priorité collective pour le véhicule avec délégation de conduite est de garantir l’intégrité des logiciels et des données, à la livraison mais aussi tout au long de la vie du logiciel. Cela doit avoir été fait avant de lancer les véhicules autonomes sur les routes. 
A l’achat du véhicule, il faut pouvoir garantir sa sécurité informatique par des tests d’intrusion informatique. Cette composante doit faire partie intégrante des tests qui précèdent aujourd’hui la mise en service des véhicules.

Ensuite, les logiciels doivent faire l’objet de mises à jour régulières et obligatoires comme pour n’importe quel logiciel. Il faudra inventer des moyens d’avertir l’usager pour qu’il déclenche ces mises à jour, par exemple en empêchant la voiture de démarrer tant que la vérification n’a pas été faite. Et il faudra avertir le conducteur des tentatives de fraudes. De même que l’ANSSI avertit les entreprises dès qu’elle détecte des tentatives de fraudes ou une faiblesse de la sécurité des systèmes d’exploitation, il faudra que les usagers soient mis en alerte.

En bref, c’est tout un ensemble de contrôles qui devra être mis en place pour assurer un niveau de conformité et une réactivité à la hauteur du risque numérique.

3/ Trancher la question de la propriété et de l’utilisation des données relatives aux déplacements et aux véhicules individuels…En laissant le pouvoir à chaque usager sur ses données 

Sur les données personnelles, la règle doit être claire et immuable : l’usager doit seul autoriser l’accès à ses données afin de bénéficier de nouveaux services.

Il n’existe qu’une seule exception, car il en va de la vie de la victime : en cas d’accident, l’accès aux données doit être automatique sans qu’il faille un accord préalable.Pourquoi ? Dans l’immédiat, les équipes d’assistance doivent pouvoir localiser immédiatement la victime. Et après l’accident, les parties prenantes doivent pouvoir identifier les responsabilités. Pour cela, il faut que les données soient accessibles, et livrées sous un format commun.

Le 14 mars dernier, le Parlement européen a adopté une résolution sur une stratégie européenne relative aux « systèmes de transport intelligents coopératifs » (C-ITS). Il a estimé qu’il fallait accorder un accès « juste et sans restriction »  aux données produites par les véhicules connectés. Et il a appelé la Commission européenne à proposer rapidement un texte qui cadre « l’accès aux données et ressources embarquées » du véhicule connecté. Cette position contribue pleinement à un accès équitable à l’ensemble des tiers. De fait, pour pouvoir fournir des services aux usagers des véhicules connectés, les entreprises ont besoin d’accéder aux données du véhicule. Pour autoriser cela, en toute conscience, l’utilisateur doit décider de l’utilisation qui va être faite de ses données de conduite, et donner son accord. Cette philosophie va rigoureusement dans le même sens que le Règlement Général sur la Protection des Données qui entre bientôt en vigueur.

Enfin, l’on pourrait dès maintenant anticiper un usage d’intérêt général qui pourrait être fait des données des véhicules connectés : au service de la prévention routière. Partager des données anonymisées entre acteurs privés et pouvoirs publics permettrait par exemple d’identifier des fréquences anormales d’accidents sur une route donnée, de prévenir ces accidents, et de corriger ce qui continue de les causer.

4/ Développer les infrastructures de la nouvelle mobilité

Il faut considérer la mobilité comme un tournant aussi majeur que le développement des énergies alternatives et lui consacrer des financements à la hauteur.

Concrètement, il faut investir dans des infrastructures dédiées avec la conviction qu’il s’agit de rendre possible un changement d’ère aussi important que la transition énergétique via les énergies solaire et éolienne.

Les deux accidents mortels survenus récemment aux Etats-Unis avec un véhicule autonome d’Uber, puis une voiture Tesla, doivent nous rappeler qu’il s’agit de technologies nouvelles, qui dépendent étroitement de la qualité des capteurs et des logiciels utilisés, autant que des infrastructures qui permettront leur développement.

L’autonomie des véhicules sera fonction de la qualité de l’information échangée avec les routes et équipements correspondants. Leur adaptation à cette nouvelle forme de mobilité sera décisive.

Ne laissons pas la réduction des dotations des collectivités locales empêcher que les investissements nécessaires soient faits dans les routes, les capteurs et autres équipements décisifs pour le développement de la voiture autonome.

Les investisseurs comme les assureurs sont prêts à accompagner le développement de ces infrastructures clés : chargeurs de véhicules électriques, clarification des routes pour permettre des lectures au sol, disposition de capteurs pour guider les véhicules autonomes et proposer des parcours alternatifs en cas d’embouteillage, etc.

Pour préparer ce tournant de façon opérationnelle, il faudra un engagement collectif fort de la part des acteurs publics et privés.

5/ Sortir les nouveaux véhicules urbains du flou juridique concernant leur classification et les responsabilités associées

La présence de plus en plus importante dans l’espace public des véhicules de déplacement personnel, électriques et assistés (trottinettes, roues électriques gyroscopiques, hoverboard, etc.), pose des questions de sécurité et d’ordre juridique.

L’avènement du véhicule électrique crée en effet des statuts nouveaux, à mi-chemin des classifications existantes : les trottinettes et vélos électriques sont des « Véhicules Assistés Electriques » exemptés d’immatriculation et d’identification du conducteur. En termes d’assurance, ils sont intégrés dans l’assurance habitation sous forme de Responsabilité Civile Vie privée. Mais aujourd’hui, ils atteignent des vitesses comparables à celles des « Véhicule terrestre à moteur » soumis à immatriculation au-dessus de 50 km/h et donc à obligation d’assurance. Concrètement, celui qui renverse un passant en trottinette indemnise la victime fait via son assurance habitation, tandis que celui qui roule en scooter fait intervenir l’assurance du scooter. Autant de questions existentielles qui incombent aux assureurs aujourd’hui, mais qui soulèvent la question de la validité des classifications d’hier à l’ère du véhicule électrique.

Est-ce que l’on autorise un enfant de 10 ans à prendre seul un véhicule autonome, comme il prend le bus seul ? Un véhicule électrique qui roule à 20 à l’heure a-t-il sa place sur la route ou sur le trottoir ? C’est tout un cadre juridique qui doit accompagner le développement des nouvelles mobilités intra-urbaines.

Précisons donc la réglementation et clarifions les conditions d’assurance pour l’ensemble des véhicules électriques ! Dans la mesure du possible, réservons des espaces sur les trottoirs pour les véhicules légers. Enfin, développons la prévention : sensibilisons les utilisateurs aux dangers réels des nouveaux moyens de locomotion !

En un mot, la révolution de la mobilité nous ouvre des perspectives inédites pour la vie en commun, l’efficience, la sécurité et le confort de chacun. Pour bénéficier demain de ces innovations, il faut assurer aujourd’hui leur fiabilité et la sécurité des passagers. La Loi Mobilité est une occasion à ne pas manquer de répondre à ces grandes attentes en apportant le cadre propice aux futures innovations entrepreneuriales.

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A propos d'Allianz

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Les experts

Jacques Richier

Jacques Richier est Président d'Allianz France et du Conseil d'administration depuis 2021. 

Jacques Richier a rejoint les AGF comme PDG en 2008 et est PDG d’Allianz France depuis 2010. Il a conduit l’intégration d’AGF avec le Groupe Allianz. En tant que PDG d’Allianz France, il a établi la marque en France, conduit la transformation digitale de l’entreprise et son positionnement sur les nouveaux usages. En 2016, il devient Président d'Allianz Maroc et membre du Conseil de surveillance d’Allianz Partners..