"Observer les tendances, identifier les ruptures potentielles, modéliser les risques, préparer un plan de continuité d’exploitation et de gestion de crise, adapter la gouvernance, investir dans la technologie, préparer les équipes et tester leur robustesse lors d’exercices de simulation sont autant d’éléments à développer et à entretenir pour permettre aux entreprises de faire face aux crises potentielles."
Chaque crise est un moyen d’apprendre à la fois sur le plan opérationnel et sur le plan fondamental. A l’heure où les crises touchent désormais au fonctionnement même de nos sociétés, sachons collectivement en tirer les leçons pour mieux anticiper les futures crises en nous appuyant sur la devise du métier d’actuaire : « Eclairer les risques, tracer l’avenir ».
La crise du Covid nous a replacés devant la réalité concrète d’un risque physique historique, connu, cartographié mais négligé car sous-estimé du fait de « l’oubli collectif » : le risque sanitaire.
Le principe de réalité a frappé l’ensemble des secteurs et une multitude de risques additionnels est alors apparue : risques opérationnels et de continuité d’activité consécutifs au confinement ; risques cyber liés à la généralisation du télétravail ; risques financiers associés à la réaction des marchés ; risque réputationnel en raison de communications parfois hâtives ; risque d’inflation résultant des dettes des Etats ; risque de défaut des entreprises en sortie de crise, etc.
Ces risques, souvent considérés comme indépendants les uns des autres, se sont finalement trouvés corrélés du fait d’un virus apparu à 9000km de Paris. Si on y associe les risques climatiques et politiques, le cocktail peut devenir explosif et constituerait alors une crise totale.
En réalité, le tout premier des risques lors de l’émergence d’une crise provient d’ une tendance naturelle à développer ce que l’on appelle un « esprit d’analyse rétroactive ». De nombreux agents économiques, administrations comme entreprises, cherchent en effet à appuyer leurs analyses sur des données chiffrées déjà existantes car celles-ci les rassurent. Cependant, cette approche peut déboucher sur une vision simplifiée, voire simpliste du monde. Elle évite d’établir un jugement propre et in fine d’en assumer la responsabilité. Mener une analyse plus vaste de tous les facteurs susceptibles de remettre en question ce qui a été observé à un instant donné nécessite du temps, des moyens, du talent et du courage.
Face au risque de crise totale, l’anticipation est clé et relève de la dimension stratégique. Observer les tendances, identifier les ruptures potentielles, modéliser les risques, préparer un plan de continuité d’exploitation et de gestion de crise, adapter la gouvernance, investir dans la technologie, préparer les équipes et tester leur robustesse lors d’exercices de simulation sont autant d’éléments à développer et à entretenir pour permettre aux entreprises de faire face aux crises potentielles, y compris celles qui n’ont pas été encore identifiées. Être prêt à ne pas subir nécessite de disposer d’un top management averti et éclairé, garant de la stratégie de l’entreprise et s’inscrivant dans le temps long, d’équipes compétentes, coordonnées et régulièrement formées, et d’outils et de processus adaptés et maîtrisés par les collaborateurs.
Existe-t-il des facteurs susceptibles de corréler les risques qui ont émergé consécutivement à la Covid avec les risques climatiques et politiques ? A ce stade, la réponse est non. Toutefois, la conjonction temporelle d’événements climatiques d’ampleur, ainsi que des tensions géopolitiques amplifiées par la crise énergétique ou la raréfaction de certains métaux, désormais considérés comme susceptibles de fragiliser la souveraineté des Etats, pourraient venir changer la donne.
Cette analyse ne doit pas inciter au défaitisme mais au réalisme. C’est en faisant preuve de réalisme et de lucidité que nous nous préparerons à la gestion d’une crise totale et que nous l’éviterons ou, à défaut, que nous saurons la gérer. Un renforcement des relations entre acteurs publics et privés, basées sur la confrontation des analyses et des expertises, sur le partage de l’information et l’innovation pourrait permettre d’établir une vision stratégique globale où les différents acteurs trouveront toute leur place pour construire un environnement plus résilient et plus durable.